dimanche 22 août 2010

Y a bon la misère des noirs

Un superbe article sur Fanny Bouyagui, directrice du Name Festival, qui expose prochainement à Lille, gare Saint-Sauveur. Le Name Festival est subventionné par le Conseil Général du Nord.

vendredi 25 juin 2010

La gestionnaire

Sa chevelure claire et gonflée descend jusqu'à la base de son cou, un fond de teint rouge discret recouvre ses joues rebondies ; le contraste entre la sobriété du rose ornant ses lèvres et leur reflet brillant surprend l'observateur. Son sourire étudié se veut doux et compréhensif. A sa main droite, une grosse chevalière en or attire l'attention. Son chemisier échancré blanc cassé, en tissu léger et froncé, laisse entrevoir par transparence un tee-shirt blanc. Cachées par un pantalon sombre, ses jambes ressemblent à des poteaux épais. Ses sandales noires sont pourvues d'épaisses semelles compensées ; ses pieds potelés y sont à l'étroit, à tel point qu'on a envie de les prendre en pitié.
Cette dame, qui nous détaille avec un plaisir non dissimulé les nombreux chiffres listés dans une présentation Powerpoint bourrée de graphiques, est une ressource qui gère les ressources. En d'autres termes elle occupe avec compétence, dans mon entreprise, un poste de directrice des ressources humaines.

lundi 7 juin 2010

Formons-nous

Je suis en contemplation devant la liste des formations DIF proposées par mon entreprise. Il y a l'embarras du choix ! Certains thèmes m'attirent particulièrement :
- "Gérer sa vie professionnelle et privée". Comment ai-je pu, jusqu'ici, gérer ma vie privée sans les conseils de mon entreprise ?
- "Manager et gérer les personnalités difficiles", et les amener à travailler plus en évitant qu'ils se suicident. Je ne sais pas si ils abordent la solution alternative consistant à les pousser à la démission avant de se donner la mort. Cela permet de s'en débarrasser en se lavant les mains des conséquences.
- "Être éco-citoyen pour le développement durable", ou comment préserver un tout petit peu l'environnement quand vous travaillez pour une entreprise qui pollue beaucoup.
- "Bien vivre sa retraite". Sans cette formation, je serai incapable de continuer à vivre quand, à soixante-quinze ans, j'atteindrai l'âge de la retraite et je me verrai malheureusement forcé d'arrêter de travailler.
- "Les 5 réflexes pour diminuer la pression" ou comment supporter la pression avec un minimum de dommages, pour pouvoir augmenter encore sa charge de travail.
- "Affirmer son leadership grâce aux techniques théâtrales". On ne saurait mieux illustrer le fait qu'un bon manager, c'est quelqu'un qui enrobe ses mensonges avec talents.
Merci Monsieur Raffarin. Votre gouvernement a fait voter la loi instituant le DIF, ce qui me donne le droit d'assister à de si belles formations, et contribue à mon "développement personnel". Et, merci mon entreprise qui les a sélectionnées pour moi. Les propositions alternatives que je pourraient faire seraient nécessairement moins intéressantes.
Tout ceci est bien compliqué. Finalement, après une dernière relecture de la liste, je vais me décider pour "L'ordinateur : comprendre et prendre en main" ; cela me sera utile pour créer et mettre à jour un blog.

lundi 24 mai 2010

mercredi 12 mai 2010

L'entretien de régression

Je suis au pied d'un gratte-ciel. Mon manager, Sébastien Lejeune, est debout à mon côté. Il me regarde en souriant. Je lève les yeux, constate avec effroi que l'immeuble bouge. Je dois fuir avant qu'il ne s'écrase. Je cours de toutes mes forces, je suffoque. Trop tard. Un bruit insupportable retentit, je hurle.
Je me réveille dans mon lit, l'oreiller plaqué contre mon visage bloque ma respiration. Il est sept heures et quart, le réveil émet des bips insupportables. Comme cela arrive de plus en plus souvent, la radio d'information continue qui s'est déclenchée dix minutes plus tôt n'a pas réussi à me réveiller.
Je me lève péniblement, prépare un café et mange une tartine de pain et de miel. J'essaie d'être rapide. Je me douche, m'habille chaudement pour me protéger du froid hivernal et, luttant contre le mal de ventre qui m'assaille, je sors.
Je ne me sens pas exclu. Mon activité d'ingénieur est socialement respectée, mon travail est apprécié par la hiérarchie de l'Entreprise ; je pourrais être mieux payé, mais mon salaire me permet de consommer et de partir en vacances. D'où vient cette insatisfaction qui m'assaille tous les matins ? Absorbé dans mes pensées, je trébuche sur un trottoir, manque de tomber, me rattrape et continue en boitant. La douleur de ma cheville s'estompe rapidement mais, une centaine de mètres plus loin, une violente nausée m'attaque et me contraint à m'arrêter. Je me penche en avant, tente sans succès de vomir contre un arbre. Un mauvais goût m'envahit la bouche. Je repars, pénètre dans le métro. Comme d'habitude, la rame est bondée et toutes les places assises sont occupées. La main accrochée en hauteur sur une barre verticale, ma voisine de droite me fait respirer l'odeur de son aisselle. Mon estomac se soulève de nouveau et, cette fois, le succès est foudroyant. Tout le monde s'écarte en essayant d'éviter mon petit déjeuner, un espace vide se forme à côté de moi, les strapontins les plus proches se libèrent. J'ai un goût de vomi dans la bouche, je suis furieux de n'avoir pas su me retenir et n'ose pas regarder les personnes qui m'entourent. Je m'assois, ferme les yeux, tente de me calmer. Au moins, cette nausée insupportable a disparu et, par miracle, mon pantalon ne semble pas tâché. Je lève enfin la tête, constate que j'ai raté ma station. Il me faut sortir du train, changer de quai, repartir dans l'autre sens.
C'est avec vingt minutes de retard que je pénètre dans les locaux de l'Entreprise. Georges Meynard pénètre avec moi dans l'ascenseur. Je le salue, il me parle de sa nouvelle voiture et exprime son aversion pour les écologistes :
« Ils nous emmerdent ici avec les voitures alors que je suis sûr que ça fait pas plus de deux pourcents du CO2. C'est la Chine qui en produit. »
Tout à coup, il fait la grimace et me regarde en plissant le nez. Je dois avoir l'haleine chargée. Heureusement, la porte s'ouvre et me tire d'embarras. Je sors de la cabine, me dirige vers les toilettes. Comme d'habitude, le lavabo est sale. Je me rince la bouche, rejoins mon bureau.
Une collègue vient me saluer, elle a mangé un pot-au-feu hier soir, chez une amie :
« C'était vraiment copieux. Ah, on ne peut pas faire un pot-au-feu pour deux. C'est pour ça que j'en fais jamais, d'ailleurs. »
Je réprime la nausée qui commence à se réveiller, me sens obligé de répondre :
« J'aime bien le pot-au-feu, mais il ne faut pas qu'il soit trop gras.
- Oui, il faut mettre beaucoup de morceaux maigres, bien dégraisser le bouillon. Bon, je dois travailler. Bonne journée.
- Bonne journée. »
Elle quitte enfin le bureau cependant que, de nouveau, je me demande quelle peut être l'origine de mes problèmes intestinaux récurrents. Il durent depuis plus de deux mois et le médecin n'a rien trouvé d'anormal.
J'ajuste mon casque téléphonique, me connecte à la première réunion à distance de la matinée. Prévue pour durer une heure et réunissant onze personnes, elle vise à déterminer un nom de fichier informatique.
Vient l'heure du repas. La nausée est toujours présente mais je n'ai rien assimilé depuis la veille et je sens que j'ai besoin de manger. Mon assiette de pâtes recouvertes d'une sauce crémeuse me fait grimacer. Pendant ce temps, mon voisin contemple avec gourmandise ses pommes de terres rissolées, coupées en petits cubes, très grillées et manifestement imbibées d'huile :
« Pour une fois, ils les ont bien fait cuire. Elles ont l'air bonnes. Un peu grasses, mais bonnes. »
Je tressaille, me retiens de lui jeter un regard courroucé. Heureusement, personne n'a remarqué ma réaction.
A quatorze heures vient le moment de débuter mon entretien annuel d'évaluation, également nommé entretien de progrès. L'exercice est humiliant et infantilisant, le terme d'entretien de régression me semblerait plus approprié. Je monte au huitième étage, respire profondément pour lutter contre la nausée qui m'assaille, pénètre dans le bureau de Sébastien Lejeune, ferme la porte. Nous passons en revue les objectifs fixés six mois auparavant, les raisons pour lesquelles ils ont été ou non atteints. Mon chef considère que les objectifs poursuivis ont été atteints, je devrais être rassuré. Avec autant (ou aussi peu) d'arguments, il aurait pu décider le contraire. Je lui en veux de son arbitraire, de ce pouvoir que j'accepte de lui donner sur moi.
Une heure plus tard, nous abordons les objectifs du prochain semestre. Je commence une remarque :
« Dans ce cas, j'écrirais plutôt... »
Une bouillie de pâtes et de sauce à la crème agrémentée de morceaux de salade verte s'étale sur le clavier de mon chef. Il se lève brutalement, recule en faisant tomber son fauteuil. Je suis catastrophé. Comment est-ce possible ? Je suis donc incapable de me retenir ? Un début de colère me saisit, colère contre moi-même, colère contre cet entretien que je rends responsable de mon malheur, colère contre celui qui l'a mené.
« Je suis vraiment désolé, je ne comprends pas ce qui m'est arrivé. »
Sébastien a eu le temps de se ressaisir.
« Ce n'est pas grave, mais il faudrait que tu voies un médecin; tu es peut-être contagieux. Nous terminerons un autre jour. »
Il me regarde, mon expression semble l'inquiéter. Il recule. L'esprit vide, j'empoigne à deux mains le clavier dégoulinant de vomi et l'utilise pour cogner sur le crâne de mon manager. Il tente de se protéger avec les mains puis s'effondre, le crâne et les avant-bras en sang, cependant que je continue de frapper. Je m'arrête enfin, lâche mon arme et considère l'homme immobile, inconscient ou mort, étendu à mes pieds. Un mal de ventre aigu m'assaille, j'ai honte. Que va-t-il se passer maintenant ? Il me semble que je ne pourrai jamais assumer mon acte.
Derrière moi, j'entends la porte s'ouvrir. Sans réfléchir, je saisis le clavier, l'utilise pour casser la vitre, saute par la fenêtre.
Je sombre dans le noir.

jeudi 25 mars 2010

Voyage sous la ville

Sous les néons crus illuminant le wagon de métro, je contemple les passagers hagards, les publicités, les fauteuil fendus recouverts de skaï bleu râpé, le sol gris sale en plastique antidérapant. Tout est laid; immobiles, les yeux fixant le vide, mes compagnons de voyage font penser à des zombis perdus au milieu d'un champ de ruine. Un groupe d'enfants pénètre dans le wagon, étincelle d'énergie au milieu d'un océan de dépression. Aujourd'hui ils remplissent le wagon de leurs bavardages excités mais, dans quelques années, ils seront silencieux comme leurs aînés.
La dame assise face à moi porte des lunettes ovales cerclées de noir ; ses cheveux teints sont raides, son visage épais est souligné par son double menton, son manteau bleu orné de deux rangées de gros boutons laisse dépasser une jupe courte de couleur marron, ses ongles limés avec soin mettent ses mains grasses en valeur. Ses bas bleus opaques cachent ses jambes sauf au niveau des genoux où, de façon presqu'obscène, apparaît par transparence la couleur de la peau. Ses chaussures découvertes sont munies de talons hauts d'environ trois centimètres.
Mal rasé, visage rond et gras, son voisin a relevé la capuche de son haut de jogging doublé en fourrure synthétique ; au dessus de sa ceinture, seuls ses mains et son visage dépassent du vêtement, je ne peux pas voir si ses cheveux sont longs ou courts. Je baisse les yeux, aperçois son jean large et ses baskets poussiéreuses, devine ses fesses larges étalées sur le siège.
Je me pince ; je suis probablement en plein cauchemar, je vais bientôt me réveiller et oublier ces visions.

lundi 1 mars 2010

Le policier, la burqa et la femme de ménage

Les politiciens nous ont abreuvés d'envolées lyriques portant sur le foulard et la burqa. Au nom du droit des femmes, ils ont exclu de l'école des jeunes filles portant un morceau de tissu sur la tête, leur barrant ainsi tout accès à l'instruction dite publique. Aujourd'hui, ils viennent de découvrir que certains hommes obligent leur femme ou leur sœur à cacher son visage sous une burqa. Pour remédier à cette situation, ils ont courageusement décidé de s'attaquer aux victimes, et veulent leur interdire les services publics. Ne pouvant plus accéder aux transports en commun, ces dernières seront alors limitées dans leurs déplacement, ce qui aggravera leur dépendance vis à vis de leurs oppresseurs.
Tout cela, c'est que je pensais naïvement jusqu'à aujourd'hui. Heureusement, à la cantine, Pierre, Paul et Jacques ont livré ce midi leurs pertinentes analyses. Ils m'ont permis de comprendre que l'émancipation des femmes et la liberté de montrer ou cacher son visage n'ont en définitive que peu d'importance. Je retranscris leur conversation :
« Vous avez-vu que le NPA présente une fille voilée aux élections ?
- Elle est laïque ?
- Comment ça laïque ?
- Ben euh...elle pour la laïcité.
- Oui. En même temps c'est un insigne religieux, ce n'est pas normal, chez nous.
- Pourtant on a bien du des curés en soutane sur les listes. Ça n'est pas mieux.
- Oui mais c'était y'a cinquante ans.
- Voilée ? Seulement les cheveux?
- Oui
- Alors c'est pas grave. Le problème, si tu caches ton visage, c'est le contrôle d'identité. On ne peut pas aujourd'hui leur demander de l'enlever. On ne sait pas quoi faire si on veut les contrôler. Et comment on fait pour les fouiller? On ne peut pas si on n'écarte pas le voile. On doit pouvoir voir le visage. Le voile simple sur les cheveux, ce n'est pas gênant, on peut voir le visage.
- D'ailleurs le foulard n'a jamais posé de problème, vous en entendez parler vous?
- Il n'y a pas eu une loi pour l'interdire à l'école il y a deux ou trois ans? Et dans les services publics »
Un instant de silence .
« Je ne sais pas. Mais aujourd'hui, chez nous, l'interdiction de la burqa a un impact psychologique, un peu raciste. Ça pose moins de problème par exemple en Égypte .
- On se pose trop de questions. Je vais te dire, ce problème de la burqa, c'est très parisien, c'est les journalistes qui l'ont inventé. En province, il n'y a pas de problème. A l'hôpital, ils doivent la soigner, ils enlèvent la burqa, le mari laisse faire. C'est pas comme à Paris.
- L'extrême gauche ils sont normalement anti-religieux, c'est étonnant qu'ils mettent quelqu'un comme ça sur leur liste.
- Ça doit être pour montrer qu'on peut être croyant et avoir des idées de gauche comme eux.
- Le problème aujourd'hui, c'est que tu es tout le temps accusé de discrimination. Je m'explique. Tu as une femme de ménage voilée et une non voilée tu dois pouvoir embaucher celle que tu veux. Si tu choisis la non-voilée on t'accusera de discrimination, c'est ça qui est pas normal. »
Comme vous l'avez compris, le plus important est que la police puisse voir nos visages et nous fouiller et nous devons pouvoir choisir entre deux femmes de ménage sans être accusés de discrimination, même si l'une d'entre elles est voilée. Par contre, parler de racisme, c'est se poser trop de question. Quand à l'égalité homme-femme ou à la liberté d'aller et venir, ce sont des sujets qu'il ne semble pas utile de mentionner dans une grande entreprise d'un pays démocratique tel que le notre.

dimanche 24 janvier 2010

Le congrès

Je mets une chemise blanche, une cravate à larges rayures noires et blanches, et un costume noir. C'est le grand jour. Je dois faire une présentation au congrès international des télécommunications, dans le cadre d'un workshop intitulé « Les télécommunications, au delà des powerpoints ».

Je pénètre dans le lieu où se déroule la manifestation, tous mes compagnons sont là. Je les reconnais tous, même ceux que je n'ai jamais rencontrés. Leur costume sombre, leur chemise claire, leur cravate et leur expression soucieuse suffisent à les identifier. Ce sont mes pairs, mes amis. Je les aime. Tiens, voici Gérard. Je le salue.

- Bonjour André, me répond-il. J'ai vu qu'on a à bouffer gratos. Ce doit être l'avantage de ça.

Il me montre son badge portant l'inscription « Corporate Member »

Naturellement, la plupart des personnes présentes sont des hommes à la peau blanche, mais je croise également un petit nombre de femmes et d'asiatiques. Certains d'entre eux peuvent être très compétents.

Je pénètre dans les toilettes, le carrelage des murs est d'une couleur grise de bon goût, le lieu est agréablement sonorisé. Je prends plaisir à uriner en écoutant Les Quatre Saisons de Vivaldi.

L'heure tourne, le workshop doit bientôt commencer. Un peu angoissé, j'entre dans la salle. Le trac. Ça y est, c'est mon tour. Je commence à parler. Nous devons croire à l'avenir, l'innovation est vitale. Il faut adapter le business plan. Le problème c'est l'argent, pas la technique. Devant eux, j'explore les nouveaux mondes possibles. Je leur montre que l'économie mondiale dépend de notre industrie, je leur détaille les réductions de gaz à effet de serre qu'entraineraient une croissance de notre activité. Je les emmène crânement où aucun powerpoint n'est allé précédemment. Des applaudissements chaleureux retentissent. Je rougis de plaisir, remercie l'assistance, puis laisse la place à l'intervenant suivant.

A la fin du workshop, je me lève et me dirige vers la porte. C'est alors que je sens un étourdissement, je m'appuie contre le mur pour ne pas tomber. Que m'arrive-t-il ? Je jette un coup d'œil aux costumes sombres qui m'entourent, prends peur. Qui sont-ils ? Que me veulent-ils ? Je me souviens. Je dois me reprendre, savourer mon succès récent. Ce sont mes amis. Comment ai-je pu l'oublier ?

Il est l'heure de la réunion plénière. Où se trouve l'amphithéâtre ? Je remarque des jeunes gens debout, immobiles, portant un écriteau sur lequel est inscrit « Théâtre ». L'un d'entre eux me renseigne. Je suis choqué, il aurait pu me sourire ! Je trouve enfin mon chemin, m'assois. Les orateurs sont des cadres dirigeants, travaillant pour certaines des firmes organisatrices, leurs exposés sont clairs, spirituels et passionnants. Je me dirige ensuite vers un autre workshop. L'organisateur est un américain blanc, il travaille pour un équipementier chinois. Les asiatiques savent reconnaître les compétences. Les présentations sont superbes. J'exprime mon accord avec tout ce qui est dit et demande quelques précisions, d'autres question sensées et constructives sont posées par l'assistance. J'aime cet esprit de groupe...

Qu'est-ce qui ne va pas ? Mes voisins font tous le même geste de la main. Un instant, ils deviennent grisâtres, transparents, puis tout redevient normal. Que m'arrive-t-il? Je dois me ressaisir, continuer à collecter des informations pour les transmettre à mon employeur.

Le soir vient, je rentre chez moi, me couche tôt. Le lendemain matin, je me dirige vers le nouveau workshop auquel je dois assister. Je rentre dans la salle, m'assois, me prépare mentalement à faire ma présentation... Non, je suis bête, c'était hier. Aujourd'hui, je me contenterai d'écouter. Mais que se passe-t-il ? Quelles sont ces ombres qui m'entourent ? Je suis tout seul... J'ai peur.

Je sombre dans le noir.

André vivait seul depuis son divorce, deux ans plus tôt. Il travaillait comme un forcené, ne fréquentant que ses collègues. On trouva son corps dans son appartement. Il était mort trois semaines plus tôt, la veille du congrès.

mercredi 6 janvier 2010

Coup de foudre

Son cou est épais, son teint bronzé tire très légèrement sur le rouge, ses cheveux gris sont mis en valeur par une mise en plis bouclée. Il porte une chemise rose mal coupée et une montre à aiguilles pourvue d'un gros cadran et d'un bracelet métallique.
Sortant de la boulangerie une baquette à la main, il voit passer une jeune femme très mince à cheveux longs et bruns, jupe courte et décolleté large. Il la fixe avec insistance, décoche un sourire charmeur. Elle ralentit, le détaille de la tête aux pieds, s'approche de lui.
« Bonjour, dit-il.
- Bonjour.
- Je m'appelle Gilbert. Vous êtes très belle, mademoiselle.
- Moi, c'est Georgette. Enchantée. »
Elle lui tend la main, il la serre d'une façon un peu trop appuyée.
« Vous habitez par ici, Georgette ?
- Oui, dans un appartement pas très loin, à la limite de la zone d'activité. « 
Georgette a vingt-six ans, elle est célibataire et travaille aux ressources humaines de Électronique International. Gilbert en a quarante-et-un et il occupe un poste de chef de projet chez Telecom United. Il ne peut pas s'attarder car sa femme l'attend.
Ils se séparent rapidement, mais se donnent rendez-vous pour le lendemain soir à dix-huit heures trente.
***
Gilbert se gare devant la boulangerie avec dix minutes d'avance, fait les cent pas en attendant sa belle. A sept heures moins vingt, elle arrive enfin.
« Bonsoir, lui dit-il. Je suis content de vous revoir. Je peux vous faire la bise ?
- Oui, bien sûr. »
Ils joint le geste à la parole.
« Vous êtes libres jusqu'à quand ? Vous avez le temps d'aller manger ?
- Oui, j'ai prévenu que je devais rester tard au travail. Nous avons tout notre temps. Vous permettez que je vous tutoie ? »
Elle sourit.
« Oui, bien sûr. J'ai pensé que nous pourrions manger à la pizzeria du bowling de Baconier, pas très loin de l'aéroport. Tu connais ?
- Je n'y suis pas allé depuis longtemps, mais c'est une bonne idée. »
Le restaurant est situé le long du petit côté d'un immense hangar, à l'opposé des pistes de bowling. Ils s'installent dans la salle presque déserte, commandent deux pizzas et une bouteille de Lambrusco pétillant. Le bruit assourdi des parties en cours leur sert de fond sonore. Il détaille les résultats scolaires de sa progéniture, la cadette est brillante mais il est inquiet pour l'aîné, puis parle de sa femme.
« Comprend-moi bien, c'est quelqu'un de très respectable. Nous sommes mariés depuis quinze ans, tout se passe bien, nous avons deux enfants. Pour rien au monde je ne la quitterais, mais ses maternités l'ont beaucoup fait grossir, elle s'occupe de ses enfants et m'oublie un peu,elle est moins énergique qu'avant. Elle est heureuse comme ça mais moi, j'ai besoin de sortir, de me distraire. »
Il regarde deux jeunes gens, coiffés d'une casquette à l'envers et originaires d'un pays du sud, qui pénètrent dans le hangar et se dirigent vers le bowling.
« Ils me rappellent Bagneux, j'y habitais il y a deux ans. On y voyait plein de mecs comme ça.
- Bagneux, ça a une réputation sulfureuse, non ?
- Oui, la cité des musiciens ... Tout ça ... Grosse plaque tournante de la drogue. Nous n'avons jamais eu de problème, mais nous avons préféré partir. Parle-moi un peu de toi. »
Elle vivait seule, avait rompu avec son copain un mois plus tôt, préférait les hommes plus âgés qu'elle. Son poste d'assistance au service des ressources humaines lui permettait de voir du monde, d'avoir des contacts enrichissants.
« Laisse-moi te dire que, contrairement à ma femme, tu es belle et charmante. »
Enfin, arriva la fin du repas et de la bouteille de rouge pétillant. Ils burent un café, se levèrent.
« Tu veux passer chez moi ? Demanda-t-elle.
Il eut un sourire ravi.
***
Sa femme dormait. Elle ouvrit un œil lorsqu'il se glissa dans le lit.
« Quelle heure est-il ?
- Minuit moins dix. Dors mon amour. Il y a eu un problème lors de la mise en production d'une nouvelle application, et ça s'est terminé tard.
- Tu sens l'alcool.
- Nous avons bu un verre bien mérité, pour fêter notre succès. »
Il posa sa tête sur l'oreiller, s'enveloppa dans la couette et s'endormit. Toute la nuit, il rêva du corps de Georgette.