dimanche 24 janvier 2010

Le congrès

Je mets une chemise blanche, une cravate à larges rayures noires et blanches, et un costume noir. C'est le grand jour. Je dois faire une présentation au congrès international des télécommunications, dans le cadre d'un workshop intitulé « Les télécommunications, au delà des powerpoints ».

Je pénètre dans le lieu où se déroule la manifestation, tous mes compagnons sont là. Je les reconnais tous, même ceux que je n'ai jamais rencontrés. Leur costume sombre, leur chemise claire, leur cravate et leur expression soucieuse suffisent à les identifier. Ce sont mes pairs, mes amis. Je les aime. Tiens, voici Gérard. Je le salue.

- Bonjour André, me répond-il. J'ai vu qu'on a à bouffer gratos. Ce doit être l'avantage de ça.

Il me montre son badge portant l'inscription « Corporate Member »

Naturellement, la plupart des personnes présentes sont des hommes à la peau blanche, mais je croise également un petit nombre de femmes et d'asiatiques. Certains d'entre eux peuvent être très compétents.

Je pénètre dans les toilettes, le carrelage des murs est d'une couleur grise de bon goût, le lieu est agréablement sonorisé. Je prends plaisir à uriner en écoutant Les Quatre Saisons de Vivaldi.

L'heure tourne, le workshop doit bientôt commencer. Un peu angoissé, j'entre dans la salle. Le trac. Ça y est, c'est mon tour. Je commence à parler. Nous devons croire à l'avenir, l'innovation est vitale. Il faut adapter le business plan. Le problème c'est l'argent, pas la technique. Devant eux, j'explore les nouveaux mondes possibles. Je leur montre que l'économie mondiale dépend de notre industrie, je leur détaille les réductions de gaz à effet de serre qu'entraineraient une croissance de notre activité. Je les emmène crânement où aucun powerpoint n'est allé précédemment. Des applaudissements chaleureux retentissent. Je rougis de plaisir, remercie l'assistance, puis laisse la place à l'intervenant suivant.

A la fin du workshop, je me lève et me dirige vers la porte. C'est alors que je sens un étourdissement, je m'appuie contre le mur pour ne pas tomber. Que m'arrive-t-il ? Je jette un coup d'œil aux costumes sombres qui m'entourent, prends peur. Qui sont-ils ? Que me veulent-ils ? Je me souviens. Je dois me reprendre, savourer mon succès récent. Ce sont mes amis. Comment ai-je pu l'oublier ?

Il est l'heure de la réunion plénière. Où se trouve l'amphithéâtre ? Je remarque des jeunes gens debout, immobiles, portant un écriteau sur lequel est inscrit « Théâtre ». L'un d'entre eux me renseigne. Je suis choqué, il aurait pu me sourire ! Je trouve enfin mon chemin, m'assois. Les orateurs sont des cadres dirigeants, travaillant pour certaines des firmes organisatrices, leurs exposés sont clairs, spirituels et passionnants. Je me dirige ensuite vers un autre workshop. L'organisateur est un américain blanc, il travaille pour un équipementier chinois. Les asiatiques savent reconnaître les compétences. Les présentations sont superbes. J'exprime mon accord avec tout ce qui est dit et demande quelques précisions, d'autres question sensées et constructives sont posées par l'assistance. J'aime cet esprit de groupe...

Qu'est-ce qui ne va pas ? Mes voisins font tous le même geste de la main. Un instant, ils deviennent grisâtres, transparents, puis tout redevient normal. Que m'arrive-t-il? Je dois me ressaisir, continuer à collecter des informations pour les transmettre à mon employeur.

Le soir vient, je rentre chez moi, me couche tôt. Le lendemain matin, je me dirige vers le nouveau workshop auquel je dois assister. Je rentre dans la salle, m'assois, me prépare mentalement à faire ma présentation... Non, je suis bête, c'était hier. Aujourd'hui, je me contenterai d'écouter. Mais que se passe-t-il ? Quelles sont ces ombres qui m'entourent ? Je suis tout seul... J'ai peur.

Je sombre dans le noir.

André vivait seul depuis son divorce, deux ans plus tôt. Il travaillait comme un forcené, ne fréquentant que ses collègues. On trouva son corps dans son appartement. Il était mort trois semaines plus tôt, la veille du congrès.

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