jeudi 3 septembre 2009

La porte

Dans les temps anciens, de nombreuses portes permettaient aux démons du Chaos de circuler entre leur univers et la Terre. Ces êtres puissants et malfaisant dominaient les humains, remplissaient leurs esprits de désirs de possession et de puissance. Occupés par des guerres meurtrières, ravagés par les famines, décimés par les maladies, les hommes et les femmes étaient impuissants face à leurs oppresseurs. Ils étaient gouvernés par des rois fantoches et sanguinaires, marionnettes des créatures de l'enfer. Goric était l'un d'entre eux. Son épée magique, dont la possession rendait immortel, lui avait été donnée par un des maîtres du Chaos. Grâce à elle et aux créatures qu'elle commandait, il s'était taillé un puissant empire. Sa richesse était immense, ses palais regorgeait d'or et d'objets précieux, les ossements de ceux qui avaient eu le malheur se trouver sur sa route emplissaient leurs sous-sols.

Un jour, un groupe de sorcières parvint à détruire les passages permettant d'accéder au Chaos, interdisant aux démons de retourner sur Terre aider leurs serviteurs. Les humains réussirent alors à se rassembler, ils renversèrent Goric et les autres tyrans, anéantirent leurs forces de police et incendièrent leurs prisons. Ne pouvant obtenir de l'aide, les démons qui les assistaient furent anéantis. On ignore ce que devint l'épée magique. Certains disent qu'elle a été détruite, tandis que d'autres affirment qu'elle est toujours à l'affût, dans l'attente du jour où elle pourra de nouveau se repaître du malheur des hommes.

Les vainqueurs créèrent alors un immense royaume. Ils choisirent de le faire diriger par un roi et offrirent la couronne à Morden le sage. Ce dernier avait beaucoup souffert sous la férule de Goric, il connaissait les effets néfastes du pouvoir et se contenta d'un rôle de guide. Préférant argumenter et convaincre, ennemi du secret, il laissait chacun libre de suivre sa conscience.

Dans son palais, il avait fait installer une porte en bois. Ce qui se trouvait derrière, nul ne le savait. La serrure qui la fermait avait été posée par le roi lui-même. Durant toute sa vie, Morden interdit que l'on s'en approcha, refusant de répondre aux questions s'y rapportant.

A sa mort, Gulder lui succéda. La première action du nouveau roi fut de rajouter une serrure sur la porte. Pendant toute la durée de son règne, il continua à écouter, partager, et tenter de convaincre. Toutefois, lorsqu'il estimait que le bien du royaume l'imposait, il imposait ses vues par la force. Cela nécessita la création de prisons, les premières depuis la fermeture du Chaos.

Les rois se succédèrent ainsi, chacun d'entre eux rajoutant une serrure supplémentaire. Au fil des siècle, le souvenir des tyrannies de l'âge des ténèbres s'effaça, les souverains perdirent le contact avec le peuple dont ils étaient issus, et assumèrent un pouvoir de plus en plus personnel. Leurs armées semaient la terreur, leurs sujets supportaient des impôts de plus en plus lourds, cependant que le seul objectif des membres de la cour semblait être de s'enrichir.

Les choses continuèrent ainsi jusqu'au jour où Morden III, fraîchement couronné, posa la vingt-quatrième serrure puis nomma Usul premier ministre. Durant les deux années qui suivirent, ce dernier amassa une immense fortune, après quoi il assassina le roi et se fit couronner à sa suite. Pour la première fois, un homme qui n'avait pas été choisi par son prédécesseur prenait le pouvoir.

Usul ne pouvait pas accepter la présence de cette porte. Située dans son propre palais, elle limitait son pouvoir et il craignait qu'elle cache des sortilèges dangereux pour le trône. Il annonça son intention de l'ouvrir à coups de hache afin d'examiner ce qu'elle renfermait. Les membres de son entourages le supplièrent de renoncer, mais personne ne parvint à lui faire changer d'avis. Il consentit seulement à ne pas la défoncer, et à utiliser les vingt-quatre clefs. De cette manière, on pourrait la refermer en cas de nécessité.

La porte, d'une hauteur de quatre mètres sur environ deux de large, était encastrée dans un mur de pierre épaisse, sa partie haute était arrondie. Elle était constituée de larges planches horizontales jointives, sans fixation apparente. Les attaches étaient probablement de l'autre côté. Aucune trace de peinture n'était visible, la couleur sombre évoquait le passage des siècles. Sur le côté droit, deux charnières métalliques imposantes, d'une vingtaine de centimètres de long, reliaient la porte au mur, tandis que les vingt-quatre serrures, massives, étaient situées à l'opposé.

Au prix de nombreuses menaces, Usul réussit à se faire remettre, une à une, les vingt-quatre clefs. Il était petit, et, comme toujours, juché sur des chaussures à semelles épaisses. La couronne sur la tête, il ouvrit la porte. Il allait enfin pouvoir investir cet endroit encore inconnu, contrôler et (qui sait?) maîtriser les secrets qu'il contenait, supprimer ce dernier obstacle sur le chemin du pouvoir total.

Il pénétra dans une pièce voutée rectangulaire, exempte de décoration, les murs en pierre lisse. Une voix lui intima d'arrêter. Comme un tonnerre, une seconde voix fit écho, une troisième, puis d'autres. Le silence retentit. L'usurpateur était entouré d'ombres, grisâtres et transparentes. L'une d'entre elles s'avança et lui ordonna de faire demi-tour.

- Je suis Morden, le bâtisseur de ce lieu. Nous sommes les vingt-quatre rois qui t'ont précédé, nous sommes ici pour protéger le royaume, garantir sa sécurité et sa richesse. Nous ne sommes que des fantômes, nous ne pouvons pas t'empêcher de passer, mais nous devons t'avertir. Sors d'ici, tu cours un grand péril. Pour monter sur le trône et assurer la paix à notre royaume, j'ai dû vaincre des démons puissants, commandés par une arme maléfique. Cette épée, qui est l'incarnation terrestre d'un puissant démon, se trouve emprisonnée ici. Celui qui l'acceptera comme sienne la délivrera, et avec elle les démons qu'elle contrôle. Il signera sa perte. Tu ne dois pas l'approcher sinon tu mourras, la famine ravagera le royaume, la peste décimera ses habitants, les temps maudits reviendront.

Usul se redressa, il n'allait pas se laisser impressionner par des ombres. Il remarqua une ouverture dans le mur opposé et, ignorant les fantômes, la franchit.

La deuxième pièce, également voutée, était grande et très haute. Au centre, on pouvait voir un bassin rond d'une dizaine de mètres de diamètre entouré par un muret. A son côté, se dressait une statue de pierre grandeur nature, elle représentait un homme vêtu d'une armure pointant son épée vers le ciel. Usul déchiffra les runes gravées sur son socle: « Goric ». Il s'approcha de l'eau. Un bruit effroyable retentit, la tête d'un dragon surgit du bassin, ses écailles épaisses couvertes de mousse et de débris. Une odeur de pourriture envahit l'air.

- N'avance pas, ceci est le dernier avertissement, dit le dragon. N'avance pas ou tu mourras, et les démons de l'enfer sèmeront la désolation dans ton royaume.

Usul blêmit, recula d'un pas, puis reprit contenance.

- Qui es-tu ? Si je continue, vas-tu m'en empêcher ?

- Un passage vers le Chaos se trouve ici, Morden le sage m'a donné mission de le garder. Nul ne doit le franchir. Je ne peux pas abandonner mon poste et t'empêcher de passer, mais je t'en supplie : renonce.

L'usurpateur hésita, mais il n'avait pas l'habitude de reculer. Il ne savait pas reculer. Sa volonté de fer lui permettrait de triompher, il en était sûr. Il franchit l'ouverture présente sur le mur opposé.

La pièce était petite, elle avait la forme d'un carré de cinq mètres de côtés. Au centre, une épée était posée sur le sol. Les runes dessinées sur la poignée lui semblaient familières, il s'agenouilla pour les regarder de près. C'était l'épée magique de Goric! Émerveillé, Usul empoigna l'arme, la dirigea vers le plafond. Des images de conquêtes envahirent son esprit, il s'imagina submergeant l'univers à la tête d'immenses armées.

- Elle m'obéit. Maintenant, je suis invincible, rien ne peut plus m'arrêter.

Il retourna dans la pièce précédente, s'approcha du bassin. La tête du dragon surgit. Convaincu de son invulnérabilité, assoiffé de sang, il attaqua le monstre, lui planta son arme dans l'œil. Un flot de sang jaillit, un râle affreux emplit l'air, et le monstre expira.

Un courant d'air fit frissonner Usul, l'odeur de pourriture ambiante devint plus forte. Il vomit. Des ombres repoussantes l'entouraient. A demi-conscient de ses actions, il les attaqua. Croyant viser l'une d'entre elles, il frappa avec l'épée et tomba sur le sol. La lame était plantée dans son cœur, le bruit qu'elle émettait en vibrant évoquait un gémissement d'extase. Franchissant la porte aux vingt-quatre serrures, les démons se dispersèrent sur toute l'étendue du royaume.

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