vendredi 18 septembre 2009
Les joies de la vie de bureau
Les services que la communauté rémunère le plus facilement sont ceux qu'on rend avec le plus de répugnance. Vous êtes payé pour être quelque chose de moins qu'un homme.
Henry David Thoreau, « La Vie sans principe », 1863 (*)
Il y a quelques années encore, j'achetais régulièrement un quotidien en kiosque, et je pouvais passer plusieurs heures à le lire. Mais quel est l'intérêt des journaux d'aujourd'hui, vite lus, vite jetés? Je me contente de les consulter rapidement sur internet.
Ce soir, je me suis connecté sur le site d'un quotidien national. J'y ai appris qu'une salariée d'un grand groupe de télécommunications, avait tenté de se suicider aux barbituriques. Ses collègues l'ont retrouvée inanimée dans les bureaux d'une agence, le médecin est parvenu à la sauver. Ça ne fait pas très sérieux, d'autres ont eu plus de panache, se sont montrés plus crédibles. La direction ne s'est pas laissée duper. Selon elle, cette femme est simplement victime d'un « effet de contagion ». Tout allait bien, mais elle a oublié de se laver les mains et a attrapé le virus du suicide.
Certains ont été plus efficaces. Rappelez-vous ce technicien retrouvé pendu dans un central téléphonique. Souvenez-vous de cet autre salarié qui a téléphoné à une collègue déléguée syndicale de l'entreprise, et s'est tué au milieu de la conversation. N'oubliez pas sa collègue qui a sauté par la fenêtre et s'est étalé sur un trottoir du XVIIe arrondissement de Paris. Accordez enfin une pensée à l'homme qui s'est poignardé en pleine réunion de service. Ils ont été crédibles,eux. Ils avaient le sens du spectacle.
Tous ceux que j'ai oubliés me pardonneront, je l'espère, qu'ils aient réussi leur suicide ou qu'ils aient eu la chance de survivre. Il y a eu vingt-trois suicides et treize tentatives connus au cours des dix-huit derniers mois. Nous devons malgré tout relativiser le problème car (c'est encore la direction qui nous le fait remarquer) on n'observe pas d'augmentation du nombre de victimes. Ainsi, vingt-huit salariés de l'opérateur téléphonique se seraient donnés la mort en 2000 et vingt-neuf en 2002.
Cela n'empêche pas la hiérarchie de s'intéresser à ces actes, un cadre de l'entreprise nous l'a rappelé récemment : « J'attire votre attention sur le message de Denis Lombric suite aux évènements malheureux, à mon avis quand même assez tragiques, qui sont survenus dernièrement. »
Cependant, ces suicidés étaient responsables de leur situation. Il auraient dû aller voir la cellule d'écoute interne qui était à leur disposition. En toute discrétion, en présence d'un représentant des ressources humaines (donc de ceux dont dépend leur avenir dans l'entreprise), il auraient eu la possibilité de s'exprimer, de décharger leur angoisse. Ils pouvaient le contacter directement ou, encore plus simple, par l'intermédiaire de leur chef respectif (si votre français est meilleur que le mien, vous pouvez utiliser le mot « manager »).
J'imagine l'un de ces petits responsables, tentant de rassurer son équipe : « Je suis à votre écoute s'il y a quoi que ce soit, évidemment de manière confidentielle. » Il est évident que demain le manager fera tout, confidentiellement bien sûr, pour se débarrasser des brebis galeuses, de ceux qui auront eu le tort d'avouer leur mal-être.
On le voit, l'opérateur de télécommunication a tout fait pour les aider et ils n'en ont pas profité. Ils avaient des problèmes psychologiques. D'ailleurs, leurs motivations restent obscures pour certains. Dans une autre entreprise, un ami de Pierre, Paul et Jacques a exprimé sa perplexité : « Les opérationnels se suicident parce qu'ils ne veulent pas travailler dans un centre d'appel, on peut les comprendre. Mais pourquoi donc s'est-elle jetée par la fenêtre? Elle faisait du recouvrement, mais ce n'est pas elle qui appelait les débiteurs. »
Et puis, soyons objectifs, ils n'avaient pas de raisons de se plaindre. Ils étaient payés, bénéficiaient de la sécurité de l'emploi, avaient de quoi manger et disposaient d'un logement. Ils pouvaient même de temps en temps sortir se promener. Que faut-il de plus à l'animal humain? Tout ceci suffirait à rendre mon chien heureux.
Ce qui m'attriste le plus c'est de constater que l'on utilise ces drames horribles pour faire oublier ceux qui souffrent mais restent en vie, pour gommer les violences et les humiliations endurées quotidiennement dans les entreprises de France.
(*) Those services which the community will most readily pay for, it is most disagreeable to render. You are paid for being something less than a man.
Henry David Thoreau, « Life Without Principle », 1863
dimanche 13 septembre 2009
samedi 12 septembre 2009
Un samedi dans le RER C
Elles sont toutes les deux sur le quai. Les vêtements larges de la première rendent son corps invisible. Si une tête surmontée de cheveux décolorés et longs d’une dizaine de centimètres ne dépassait pas, ils pourraient faire office de burqa. La robe blanc cassé descend jusqu'à mi-cuisse, où des boutons de la même couleur servent de décoration. Un gilet noir à grosses côtes en laine, large et épais, la recouvre. Le pantalon de la même couleur est large, genre patte d'eph informe. Les chaussures à carreaux écossais évoquent des charentaises auxquelles on aurait rajouté une partie arrière. A quoi peut-elle bien ressembler, sous ce monceau de tissus ? Le seul indice vient du visage un peu joufflu. Je me dis qu'elle doit se sentir mal dans son corps, cela me rend triste.
Les choses sont plus claires en ce qui concerne sa copine. Je vois des cheveux bruns avec des reflets rouges, des yeux largement entourés de maquillage noir, une robe fine marron-beige largement décolletée et laissant apparaître des épaules bien grasses.
Un immeuble solitaire passe, haut et long, très laid, il émerge les arbres. Manifestement bâti sans le moindre effort esthétique, il semble constitué d'un ensemble de balcons empilés, tous semblables. Ses habitants ont peut-être une belle vue?
Que vois-je ? Six grosses antennes paraboliques, toutes pointées dans la même direction sont installées côte à côte sur le sol, en deux rangées de trois. On dirait un genre de potager.
Jeune et mince, une rappeuse porte une veste Addidas noire et un short en jean délavé ultra court, des menottes sont accrochées aux passants de ceinture. Son collant est violet, ses baskets violettes et noires. Sans musique, vive et énergique, elle répète ses mouvements sur le quai du RER C pour le seul bénéfice, semble-t-il, du garçon debout en face d'elle.
Un anneau métallique fin, d’une dizaine de centimètres de diamètre, traverse le lobe de l’oreille de la dame qui vient de s'asseoir. Je me demande ce que je peux y accrocher. Ce doit être pratique pour ranger son foulard ou pour suspendre son téléphone.
Un immeuble en béton borde la voie, il est décoré par un revêtement cherchant à faire croire qu'il est constitué de grosses pierres. Le résultat est génialement immonde.
Une dame vient de pénétrer dans le wagon. Ses cheveux châtains longs ont été hâtivement rassemblés en chignon, elle porte des lunettes de soleil à monture de plastique. Elle dénoue le foulard noir qui entoure son cou. Elle est habillée d'une robe décolletée de la même couleur, fine et en dentelle, et d'un gilet en laine peu épais, non boutonné. Ses seins sont assez volumineux. Les ongles longs semblent artificiels, mais la distance ne me permet pas de m'en assurer. Son jean est bleu clair, ses sandales nu-pied sont couleur argent. Elle a l'air très jeune, son visage est déjà un peu empâté.
Deux jeunes rebeux, assez mignons, se partagent les deux écouteurs d'un casque branché sur un téléphone portable.
« Elle est bien cette musique, hein? »
Un peu plus tard, les même quittent le wagon. J'attrape un fragment de dialogue:
« Marche pas . »
- Non?
- Trop con!
La fenêtre du train disposait auparavant d'une manivelle pour monter et descendre la vitre. Malheureusement elle a disparu, seul subsiste son axe, rouillé.
Les choses sont plus claires en ce qui concerne sa copine. Je vois des cheveux bruns avec des reflets rouges, des yeux largement entourés de maquillage noir, une robe fine marron-beige largement décolletée et laissant apparaître des épaules bien grasses.
Un immeuble solitaire passe, haut et long, très laid, il émerge les arbres. Manifestement bâti sans le moindre effort esthétique, il semble constitué d'un ensemble de balcons empilés, tous semblables. Ses habitants ont peut-être une belle vue?
Que vois-je ? Six grosses antennes paraboliques, toutes pointées dans la même direction sont installées côte à côte sur le sol, en deux rangées de trois. On dirait un genre de potager.
Jeune et mince, une rappeuse porte une veste Addidas noire et un short en jean délavé ultra court, des menottes sont accrochées aux passants de ceinture. Son collant est violet, ses baskets violettes et noires. Sans musique, vive et énergique, elle répète ses mouvements sur le quai du RER C pour le seul bénéfice, semble-t-il, du garçon debout en face d'elle.
Un anneau métallique fin, d’une dizaine de centimètres de diamètre, traverse le lobe de l’oreille de la dame qui vient de s'asseoir. Je me demande ce que je peux y accrocher. Ce doit être pratique pour ranger son foulard ou pour suspendre son téléphone.
Un immeuble en béton borde la voie, il est décoré par un revêtement cherchant à faire croire qu'il est constitué de grosses pierres. Le résultat est génialement immonde.
Une dame vient de pénétrer dans le wagon. Ses cheveux châtains longs ont été hâtivement rassemblés en chignon, elle porte des lunettes de soleil à monture de plastique. Elle dénoue le foulard noir qui entoure son cou. Elle est habillée d'une robe décolletée de la même couleur, fine et en dentelle, et d'un gilet en laine peu épais, non boutonné. Ses seins sont assez volumineux. Les ongles longs semblent artificiels, mais la distance ne me permet pas de m'en assurer. Son jean est bleu clair, ses sandales nu-pied sont couleur argent. Elle a l'air très jeune, son visage est déjà un peu empâté.
Deux jeunes rebeux, assez mignons, se partagent les deux écouteurs d'un casque branché sur un téléphone portable.
« Elle est bien cette musique, hein? »
Un peu plus tard, les même quittent le wagon. J'attrape un fragment de dialogue:
« Marche pas . »
- Non?
- Trop con!
La fenêtre du train disposait auparavant d'une manivelle pour monter et descendre la vitre. Malheureusement elle a disparu, seul subsiste son axe, rouillé.
jeudi 3 septembre 2009
Les pieds nickelés refont le monde
Appelons-les Pierre, Paul et Jacques. Les gobelets en plastique sont pleins de mauvais café, tout le monde va s'asseoir. La conversation démarre sur les précautions prises par l'entreprise en prévision de l'épidémie de grippe H1N1, puis Pierre parle d'un documentaire qu'il a vu sur ARTE. Selon lui, le corps humain est constitué à quatre-vingts pourcent de cellules qui n'ont pas notre patrimoine génétique.
« Quatre-vingts pourcent du corps ? Demande jacques.
- Non , pas quatre-vingt pourcent des molécules, quatre-vingt pourcent des cellules. Ça fait rêver, on ne connait pas tout, heureusement. Nos enfants vont nous apprendre beaucoup de choses. »
Je passe sur les considérations portant sur la maîtrise de l'Internet, les plus jeunes le pratiquent mieux que leurs parents, mais ceux-ci comprennent plus précisément la structure d'un ordinateur. J'oublie la remarque selon laquelle une fille a statistiquement moins de chance de maîtriser l'informatique technique que les garçons.
Vous avez remarqué que les probabilités deviennent de plus en plus réelles ? Nous ne somme pas misogynes, nous savons bien qu'une femme peut être aussi compétente qu'un homme. Ça ne les empêche pas d'être statistiquement, c'est à dire (pour certains) réellement, inférieures. De même, lorsqu'un avion crashe, des humains meurent, mais il s'agit d'un accident très rare, statistiquement insignifiant. Statistiquement, donc réellement, il ne s'est rien passé, il n'y a pas eu de décès.
Pierre fait maintenant remarquer que nos enfants savent dès leur plus jeune âge ce qu'est l'écologie, ce qu'est un écosystème humain. Ce n'était pas le cas de ceux qui faisaient rouler de grosses voitures dans les années 50, ils n'auraient pas compris qu'on cherche à les en empêcher. Je vous laisse interpréter ces paroles comme vous le souhaitez. Qu'est-ce qu'un tel écosystème ? Est-ce la société libérale mondialisée, instable et en fuite permanente vers l'avant, qu'il qualifie ainsi ? Veut-il dire que, vu la persévérance avec laquelle nous continuons à détruire la nature, ils ont peu de chances d’expérimenter un écosystème qui soit non-humain?
Après ces considérations, la conversation passe aux avancées (scientifiques évidemment, pour eux il n'en existe pas d'autres) à prévoir. Il y a eu peu de grandes découvertes récemment, à part bien sûr les téléphones portables et Internet. C'est peut-être parce que, les physiciens viennent de le réaliser, quatre-vingts pourcent (encore) de la matière échappe aux expériences, cela bloque leurs progrès. Ils maîtrisent moins de choses qu'ils ne le pensaient. Toutes ces inconnues expliquent un certain ralentissement actuel, mais elles laissent des possibilités de grandes découvertes pour nos enfants.
Malheureusement, je dois vous laisser maintenant. Les gobelets en plastique sont vides, il est temps de retourner travailler.
« Quatre-vingts pourcent du corps ? Demande jacques.
- Non , pas quatre-vingt pourcent des molécules, quatre-vingt pourcent des cellules. Ça fait rêver, on ne connait pas tout, heureusement. Nos enfants vont nous apprendre beaucoup de choses. »
Je passe sur les considérations portant sur la maîtrise de l'Internet, les plus jeunes le pratiquent mieux que leurs parents, mais ceux-ci comprennent plus précisément la structure d'un ordinateur. J'oublie la remarque selon laquelle une fille a statistiquement moins de chance de maîtriser l'informatique technique que les garçons.
Vous avez remarqué que les probabilités deviennent de plus en plus réelles ? Nous ne somme pas misogynes, nous savons bien qu'une femme peut être aussi compétente qu'un homme. Ça ne les empêche pas d'être statistiquement, c'est à dire (pour certains) réellement, inférieures. De même, lorsqu'un avion crashe, des humains meurent, mais il s'agit d'un accident très rare, statistiquement insignifiant. Statistiquement, donc réellement, il ne s'est rien passé, il n'y a pas eu de décès.
Pierre fait maintenant remarquer que nos enfants savent dès leur plus jeune âge ce qu'est l'écologie, ce qu'est un écosystème humain. Ce n'était pas le cas de ceux qui faisaient rouler de grosses voitures dans les années 50, ils n'auraient pas compris qu'on cherche à les en empêcher. Je vous laisse interpréter ces paroles comme vous le souhaitez. Qu'est-ce qu'un tel écosystème ? Est-ce la société libérale mondialisée, instable et en fuite permanente vers l'avant, qu'il qualifie ainsi ? Veut-il dire que, vu la persévérance avec laquelle nous continuons à détruire la nature, ils ont peu de chances d’expérimenter un écosystème qui soit non-humain?
Après ces considérations, la conversation passe aux avancées (scientifiques évidemment, pour eux il n'en existe pas d'autres) à prévoir. Il y a eu peu de grandes découvertes récemment, à part bien sûr les téléphones portables et Internet. C'est peut-être parce que, les physiciens viennent de le réaliser, quatre-vingts pourcent (encore) de la matière échappe aux expériences, cela bloque leurs progrès. Ils maîtrisent moins de choses qu'ils ne le pensaient. Toutes ces inconnues expliquent un certain ralentissement actuel, mais elles laissent des possibilités de grandes découvertes pour nos enfants.
Malheureusement, je dois vous laisser maintenant. Les gobelets en plastique sont vides, il est temps de retourner travailler.
La porte
Dans les temps anciens, de nombreuses portes permettaient aux démons du Chaos de circuler entre leur univers et la Terre. Ces êtres puissants et malfaisant dominaient les humains, remplissaient leurs esprits de désirs de possession et de puissance. Occupés par des guerres meurtrières, ravagés par les famines, décimés par les maladies, les hommes et les femmes étaient impuissants face à leurs oppresseurs. Ils étaient gouvernés par des rois fantoches et sanguinaires, marionnettes des créatures de l'enfer. Goric était l'un d'entre eux. Son épée magique, dont la possession rendait immortel, lui avait été donnée par un des maîtres du Chaos. Grâce à elle et aux créatures qu'elle commandait, il s'était taillé un puissant empire. Sa richesse était immense, ses palais regorgeait d'or et d'objets précieux, les ossements de ceux qui avaient eu le malheur se trouver sur sa route emplissaient leurs sous-sols.
Un jour, un groupe de sorcières parvint à détruire les passages permettant d'accéder au Chaos, interdisant aux démons de retourner sur Terre aider leurs serviteurs. Les humains réussirent alors à se rassembler, ils renversèrent Goric et les autres tyrans, anéantirent leurs forces de police et incendièrent leurs prisons. Ne pouvant obtenir de l'aide, les démons qui les assistaient furent anéantis. On ignore ce que devint l'épée magique. Certains disent qu'elle a été détruite, tandis que d'autres affirment qu'elle est toujours à l'affût, dans l'attente du jour où elle pourra de nouveau se repaître du malheur des hommes.
Les vainqueurs créèrent alors un immense royaume. Ils choisirent de le faire diriger par un roi et offrirent la couronne à Morden le sage. Ce dernier avait beaucoup souffert sous la férule de Goric, il connaissait les effets néfastes du pouvoir et se contenta d'un rôle de guide. Préférant argumenter et convaincre, ennemi du secret, il laissait chacun libre de suivre sa conscience.
Dans son palais, il avait fait installer une porte en bois. Ce qui se trouvait derrière, nul ne le savait. La serrure qui la fermait avait été posée par le roi lui-même. Durant toute sa vie, Morden interdit que l'on s'en approcha, refusant de répondre aux questions s'y rapportant.
A sa mort, Gulder lui succéda. La première action du nouveau roi fut de rajouter une serrure sur la porte. Pendant toute la durée de son règne, il continua à écouter, partager, et tenter de convaincre. Toutefois, lorsqu'il estimait que le bien du royaume l'imposait, il imposait ses vues par la force. Cela nécessita la création de prisons, les premières depuis la fermeture du Chaos.
Les rois se succédèrent ainsi, chacun d'entre eux rajoutant une serrure supplémentaire. Au fil des siècle, le souvenir des tyrannies de l'âge des ténèbres s'effaça, les souverains perdirent le contact avec le peuple dont ils étaient issus, et assumèrent un pouvoir de plus en plus personnel. Leurs armées semaient la terreur, leurs sujets supportaient des impôts de plus en plus lourds, cependant que le seul objectif des membres de la cour semblait être de s'enrichir.
Les choses continuèrent ainsi jusqu'au jour où Morden III, fraîchement couronné, posa la vingt-quatrième serrure puis nomma Usul premier ministre. Durant les deux années qui suivirent, ce dernier amassa une immense fortune, après quoi il assassina le roi et se fit couronner à sa suite. Pour la première fois, un homme qui n'avait pas été choisi par son prédécesseur prenait le pouvoir.
Usul ne pouvait pas accepter la présence de cette porte. Située dans son propre palais, elle limitait son pouvoir et il craignait qu'elle cache des sortilèges dangereux pour le trône. Il annonça son intention de l'ouvrir à coups de hache afin d'examiner ce qu'elle renfermait. Les membres de son entourages le supplièrent de renoncer, mais personne ne parvint à lui faire changer d'avis. Il consentit seulement à ne pas la défoncer, et à utiliser les vingt-quatre clefs. De cette manière, on pourrait la refermer en cas de nécessité.
La porte, d'une hauteur de quatre mètres sur environ deux de large, était encastrée dans un mur de pierre épaisse, sa partie haute était arrondie. Elle était constituée de larges planches horizontales jointives, sans fixation apparente. Les attaches étaient probablement de l'autre côté. Aucune trace de peinture n'était visible, la couleur sombre évoquait le passage des siècles. Sur le côté droit, deux charnières métalliques imposantes, d'une vingtaine de centimètres de long, reliaient la porte au mur, tandis que les vingt-quatre serrures, massives, étaient situées à l'opposé.
Au prix de nombreuses menaces, Usul réussit à se faire remettre, une à une, les vingt-quatre clefs. Il était petit, et, comme toujours, juché sur des chaussures à semelles épaisses. La couronne sur la tête, il ouvrit la porte. Il allait enfin pouvoir investir cet endroit encore inconnu, contrôler et (qui sait?) maîtriser les secrets qu'il contenait, supprimer ce dernier obstacle sur le chemin du pouvoir total.
Il pénétra dans une pièce voutée rectangulaire, exempte de décoration, les murs en pierre lisse. Une voix lui intima d'arrêter. Comme un tonnerre, une seconde voix fit écho, une troisième, puis d'autres. Le silence retentit. L'usurpateur était entouré d'ombres, grisâtres et transparentes. L'une d'entre elles s'avança et lui ordonna de faire demi-tour.
- Je suis Morden, le bâtisseur de ce lieu. Nous sommes les vingt-quatre rois qui t'ont précédé, nous sommes ici pour protéger le royaume, garantir sa sécurité et sa richesse. Nous ne sommes que des fantômes, nous ne pouvons pas t'empêcher de passer, mais nous devons t'avertir. Sors d'ici, tu cours un grand péril. Pour monter sur le trône et assurer la paix à notre royaume, j'ai dû vaincre des démons puissants, commandés par une arme maléfique. Cette épée, qui est l'incarnation terrestre d'un puissant démon, se trouve emprisonnée ici. Celui qui l'acceptera comme sienne la délivrera, et avec elle les démons qu'elle contrôle. Il signera sa perte. Tu ne dois pas l'approcher sinon tu mourras, la famine ravagera le royaume, la peste décimera ses habitants, les temps maudits reviendront.
Usul se redressa, il n'allait pas se laisser impressionner par des ombres. Il remarqua une ouverture dans le mur opposé et, ignorant les fantômes, la franchit.
La deuxième pièce, également voutée, était grande et très haute. Au centre, on pouvait voir un bassin rond d'une dizaine de mètres de diamètre entouré par un muret. A son côté, se dressait une statue de pierre grandeur nature, elle représentait un homme vêtu d'une armure pointant son épée vers le ciel. Usul déchiffra les runes gravées sur son socle: « Goric ». Il s'approcha de l'eau. Un bruit effroyable retentit, la tête d'un dragon surgit du bassin, ses écailles épaisses couvertes de mousse et de débris. Une odeur de pourriture envahit l'air.
- N'avance pas, ceci est le dernier avertissement, dit le dragon. N'avance pas ou tu mourras, et les démons de l'enfer sèmeront la désolation dans ton royaume.
Usul blêmit, recula d'un pas, puis reprit contenance.
- Qui es-tu ? Si je continue, vas-tu m'en empêcher ?
- Un passage vers le Chaos se trouve ici, Morden le sage m'a donné mission de le garder. Nul ne doit le franchir. Je ne peux pas abandonner mon poste et t'empêcher de passer, mais je t'en supplie : renonce.
L'usurpateur hésita, mais il n'avait pas l'habitude de reculer. Il ne savait pas reculer. Sa volonté de fer lui permettrait de triompher, il en était sûr. Il franchit l'ouverture présente sur le mur opposé.
La pièce était petite, elle avait la forme d'un carré de cinq mètres de côtés. Au centre, une épée était posée sur le sol. Les runes dessinées sur la poignée lui semblaient familières, il s'agenouilla pour les regarder de près. C'était l'épée magique de Goric! Émerveillé, Usul empoigna l'arme, la dirigea vers le plafond. Des images de conquêtes envahirent son esprit, il s'imagina submergeant l'univers à la tête d'immenses armées.
- Elle m'obéit. Maintenant, je suis invincible, rien ne peut plus m'arrêter.
Il retourna dans la pièce précédente, s'approcha du bassin. La tête du dragon surgit. Convaincu de son invulnérabilité, assoiffé de sang, il attaqua le monstre, lui planta son arme dans l'œil. Un flot de sang jaillit, un râle affreux emplit l'air, et le monstre expira.
Un courant d'air fit frissonner Usul, l'odeur de pourriture ambiante devint plus forte. Il vomit. Des ombres repoussantes l'entouraient. A demi-conscient de ses actions, il les attaqua. Croyant viser l'une d'entre elles, il frappa avec l'épée et tomba sur le sol. La lame était plantée dans son cœur, le bruit qu'elle émettait en vibrant évoquait un gémissement d'extase. Franchissant la porte aux vingt-quatre serrures, les démons se dispersèrent sur toute l'étendue du royaume.
Un jour, un groupe de sorcières parvint à détruire les passages permettant d'accéder au Chaos, interdisant aux démons de retourner sur Terre aider leurs serviteurs. Les humains réussirent alors à se rassembler, ils renversèrent Goric et les autres tyrans, anéantirent leurs forces de police et incendièrent leurs prisons. Ne pouvant obtenir de l'aide, les démons qui les assistaient furent anéantis. On ignore ce que devint l'épée magique. Certains disent qu'elle a été détruite, tandis que d'autres affirment qu'elle est toujours à l'affût, dans l'attente du jour où elle pourra de nouveau se repaître du malheur des hommes.
Les vainqueurs créèrent alors un immense royaume. Ils choisirent de le faire diriger par un roi et offrirent la couronne à Morden le sage. Ce dernier avait beaucoup souffert sous la férule de Goric, il connaissait les effets néfastes du pouvoir et se contenta d'un rôle de guide. Préférant argumenter et convaincre, ennemi du secret, il laissait chacun libre de suivre sa conscience.
Dans son palais, il avait fait installer une porte en bois. Ce qui se trouvait derrière, nul ne le savait. La serrure qui la fermait avait été posée par le roi lui-même. Durant toute sa vie, Morden interdit que l'on s'en approcha, refusant de répondre aux questions s'y rapportant.
A sa mort, Gulder lui succéda. La première action du nouveau roi fut de rajouter une serrure sur la porte. Pendant toute la durée de son règne, il continua à écouter, partager, et tenter de convaincre. Toutefois, lorsqu'il estimait que le bien du royaume l'imposait, il imposait ses vues par la force. Cela nécessita la création de prisons, les premières depuis la fermeture du Chaos.
Les rois se succédèrent ainsi, chacun d'entre eux rajoutant une serrure supplémentaire. Au fil des siècle, le souvenir des tyrannies de l'âge des ténèbres s'effaça, les souverains perdirent le contact avec le peuple dont ils étaient issus, et assumèrent un pouvoir de plus en plus personnel. Leurs armées semaient la terreur, leurs sujets supportaient des impôts de plus en plus lourds, cependant que le seul objectif des membres de la cour semblait être de s'enrichir.
Les choses continuèrent ainsi jusqu'au jour où Morden III, fraîchement couronné, posa la vingt-quatrième serrure puis nomma Usul premier ministre. Durant les deux années qui suivirent, ce dernier amassa une immense fortune, après quoi il assassina le roi et se fit couronner à sa suite. Pour la première fois, un homme qui n'avait pas été choisi par son prédécesseur prenait le pouvoir.
Usul ne pouvait pas accepter la présence de cette porte. Située dans son propre palais, elle limitait son pouvoir et il craignait qu'elle cache des sortilèges dangereux pour le trône. Il annonça son intention de l'ouvrir à coups de hache afin d'examiner ce qu'elle renfermait. Les membres de son entourages le supplièrent de renoncer, mais personne ne parvint à lui faire changer d'avis. Il consentit seulement à ne pas la défoncer, et à utiliser les vingt-quatre clefs. De cette manière, on pourrait la refermer en cas de nécessité.
La porte, d'une hauteur de quatre mètres sur environ deux de large, était encastrée dans un mur de pierre épaisse, sa partie haute était arrondie. Elle était constituée de larges planches horizontales jointives, sans fixation apparente. Les attaches étaient probablement de l'autre côté. Aucune trace de peinture n'était visible, la couleur sombre évoquait le passage des siècles. Sur le côté droit, deux charnières métalliques imposantes, d'une vingtaine de centimètres de long, reliaient la porte au mur, tandis que les vingt-quatre serrures, massives, étaient situées à l'opposé.
Au prix de nombreuses menaces, Usul réussit à se faire remettre, une à une, les vingt-quatre clefs. Il était petit, et, comme toujours, juché sur des chaussures à semelles épaisses. La couronne sur la tête, il ouvrit la porte. Il allait enfin pouvoir investir cet endroit encore inconnu, contrôler et (qui sait?) maîtriser les secrets qu'il contenait, supprimer ce dernier obstacle sur le chemin du pouvoir total.
Il pénétra dans une pièce voutée rectangulaire, exempte de décoration, les murs en pierre lisse. Une voix lui intima d'arrêter. Comme un tonnerre, une seconde voix fit écho, une troisième, puis d'autres. Le silence retentit. L'usurpateur était entouré d'ombres, grisâtres et transparentes. L'une d'entre elles s'avança et lui ordonna de faire demi-tour.
- Je suis Morden, le bâtisseur de ce lieu. Nous sommes les vingt-quatre rois qui t'ont précédé, nous sommes ici pour protéger le royaume, garantir sa sécurité et sa richesse. Nous ne sommes que des fantômes, nous ne pouvons pas t'empêcher de passer, mais nous devons t'avertir. Sors d'ici, tu cours un grand péril. Pour monter sur le trône et assurer la paix à notre royaume, j'ai dû vaincre des démons puissants, commandés par une arme maléfique. Cette épée, qui est l'incarnation terrestre d'un puissant démon, se trouve emprisonnée ici. Celui qui l'acceptera comme sienne la délivrera, et avec elle les démons qu'elle contrôle. Il signera sa perte. Tu ne dois pas l'approcher sinon tu mourras, la famine ravagera le royaume, la peste décimera ses habitants, les temps maudits reviendront.
Usul se redressa, il n'allait pas se laisser impressionner par des ombres. Il remarqua une ouverture dans le mur opposé et, ignorant les fantômes, la franchit.
La deuxième pièce, également voutée, était grande et très haute. Au centre, on pouvait voir un bassin rond d'une dizaine de mètres de diamètre entouré par un muret. A son côté, se dressait une statue de pierre grandeur nature, elle représentait un homme vêtu d'une armure pointant son épée vers le ciel. Usul déchiffra les runes gravées sur son socle: « Goric ». Il s'approcha de l'eau. Un bruit effroyable retentit, la tête d'un dragon surgit du bassin, ses écailles épaisses couvertes de mousse et de débris. Une odeur de pourriture envahit l'air.
- N'avance pas, ceci est le dernier avertissement, dit le dragon. N'avance pas ou tu mourras, et les démons de l'enfer sèmeront la désolation dans ton royaume.
Usul blêmit, recula d'un pas, puis reprit contenance.
- Qui es-tu ? Si je continue, vas-tu m'en empêcher ?
- Un passage vers le Chaos se trouve ici, Morden le sage m'a donné mission de le garder. Nul ne doit le franchir. Je ne peux pas abandonner mon poste et t'empêcher de passer, mais je t'en supplie : renonce.
L'usurpateur hésita, mais il n'avait pas l'habitude de reculer. Il ne savait pas reculer. Sa volonté de fer lui permettrait de triompher, il en était sûr. Il franchit l'ouverture présente sur le mur opposé.
La pièce était petite, elle avait la forme d'un carré de cinq mètres de côtés. Au centre, une épée était posée sur le sol. Les runes dessinées sur la poignée lui semblaient familières, il s'agenouilla pour les regarder de près. C'était l'épée magique de Goric! Émerveillé, Usul empoigna l'arme, la dirigea vers le plafond. Des images de conquêtes envahirent son esprit, il s'imagina submergeant l'univers à la tête d'immenses armées.
- Elle m'obéit. Maintenant, je suis invincible, rien ne peut plus m'arrêter.
Il retourna dans la pièce précédente, s'approcha du bassin. La tête du dragon surgit. Convaincu de son invulnérabilité, assoiffé de sang, il attaqua le monstre, lui planta son arme dans l'œil. Un flot de sang jaillit, un râle affreux emplit l'air, et le monstre expira.
Un courant d'air fit frissonner Usul, l'odeur de pourriture ambiante devint plus forte. Il vomit. Des ombres repoussantes l'entouraient. A demi-conscient de ses actions, il les attaqua. Croyant viser l'une d'entre elles, il frappa avec l'épée et tomba sur le sol. La lame était plantée dans son cœur, le bruit qu'elle émettait en vibrant évoquait un gémissement d'extase. Franchissant la porte aux vingt-quatre serrures, les démons se dispersèrent sur toute l'étendue du royaume.
mercredi 2 septembre 2009
Le vélib des campagnes
Je finis de prendre ma douche, me sèche, hésite à sortir de la salle de bain. Non, ma barbe est vraiment trop hirsute. Je me rase, m'habille, vide la théière et la range dans le lave-vaisselle. Il est l'heure de partir.
Dans la cour, le gardien s'approche de moi. Je le regarde boitiller, sa jambe n'est pas encore guérie. Il s'est blessé il y a trois semaines, dans le train qui l'emmenait en vacances. Il a voulu descendre sur le quai, mais son chien a tiré sur la laisse et il a raté la marche.
Je prends le paquet qu'il vient de me donner, remonte le poser chez moi. Je peux enfin m'en aller. Je me dirige vers la station vélib la plus proche et m'emploie à tester les vélos présents. Le second essai s'avère être le bon. L'engin n'a pas l'air trop tordu, les pédales répondent correctement, les roues tournent sans problème.
Je vais démarrer lorsque je remarque un couple assez âgé qui s'approche de la station. L'homme contemple avec méfiance les vélos garés, la femme se baisse devant le plus proche puis tâte les pneus d'un air compétent. Je l'imagine palpant de la même manière les muscles d'un cheval ou le pis d'une vache. Apparemment satisfaite, et sans aucune autre vérification, elle fait un signe de la tête à son ami. Lorsque je m'éloigne, ils sont tous deux en méditation devant un horodateur qu'ils ont confondu avec la borne vélib.
Je continue mon chemin, regarde l'heure. Je devrais arriver à temps, avant dix heures, mais je n'ai pas beaucoup de marge. Une camionnette me fait une queue de poisson. Il s'agit encore d'une entreprise du bâtiment, je devrais avoir l'habitude. Je traverse la Seine, m'engage dans la rue du Petit-Pont, tourne à gauche et trouve sans problème une place pour mon vélo. Il est 9h53.
En me dirigeant vers le lieu de mon rendez-vous, au milieu des immondes restaurants « grecs », je lis le mot « wok » sur une vitrine. C'est à la mode. Une affichette parle de possibilités de livraison. Je ne m'attarde pas, mais je brode sur le sujet. Que livrent-ils ? Des woks ? Des trucs plus ou moins bons sautés au wok ? Est-ce que l'on peut également manger sur place ?
Enfin, j'arrive à destination.
Dans la cour, le gardien s'approche de moi. Je le regarde boitiller, sa jambe n'est pas encore guérie. Il s'est blessé il y a trois semaines, dans le train qui l'emmenait en vacances. Il a voulu descendre sur le quai, mais son chien a tiré sur la laisse et il a raté la marche.
Je prends le paquet qu'il vient de me donner, remonte le poser chez moi. Je peux enfin m'en aller. Je me dirige vers la station vélib la plus proche et m'emploie à tester les vélos présents. Le second essai s'avère être le bon. L'engin n'a pas l'air trop tordu, les pédales répondent correctement, les roues tournent sans problème.
Je vais démarrer lorsque je remarque un couple assez âgé qui s'approche de la station. L'homme contemple avec méfiance les vélos garés, la femme se baisse devant le plus proche puis tâte les pneus d'un air compétent. Je l'imagine palpant de la même manière les muscles d'un cheval ou le pis d'une vache. Apparemment satisfaite, et sans aucune autre vérification, elle fait un signe de la tête à son ami. Lorsque je m'éloigne, ils sont tous deux en méditation devant un horodateur qu'ils ont confondu avec la borne vélib.
Je continue mon chemin, regarde l'heure. Je devrais arriver à temps, avant dix heures, mais je n'ai pas beaucoup de marge. Une camionnette me fait une queue de poisson. Il s'agit encore d'une entreprise du bâtiment, je devrais avoir l'habitude. Je traverse la Seine, m'engage dans la rue du Petit-Pont, tourne à gauche et trouve sans problème une place pour mon vélo. Il est 9h53.
En me dirigeant vers le lieu de mon rendez-vous, au milieu des immondes restaurants « grecs », je lis le mot « wok » sur une vitrine. C'est à la mode. Une affichette parle de possibilités de livraison. Je ne m'attarde pas, mais je brode sur le sujet. Que livrent-ils ? Des woks ? Des trucs plus ou moins bons sautés au wok ? Est-ce que l'on peut également manger sur place ?
Enfin, j'arrive à destination.
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