lundi 19 octobre 2009
Le soleil mange à la cantine
Je préfère manger à la cantine
Avec les copains et les copines
(Jim Larriaga, interprété par Carlos)
Il n'est pas nécessaire de travailler chez un opérateur de télécommunications pour être la cible d'un harcèlement diffus, pour se retrouver victime d'une souffrance susceptible de tuer. Les personnels de Renault, de l'APHP, des sociétés de service informatique et d'autres entreprises le savent. Dans la SSII qui m'emploie, plusieurs personnes se sont données la mort ces derniers mois, la dernière en date travaillait sur le site de Toulouse. La direction commence à s'inquiéter, elle a annoncé un plan anti-stress visant à mieux manager les « risques psychosociaux ».
Hier, comme d'habitude, nous sommes descendus en groupe à la cantine. Au moment de m'asseoir, je me suis rendu compte que Georgette, accompagnée par un autre directeur opérationnel nommé Gérard, était en train de s'installer à ma gauche. Elle nous a dit bonjour, nous a serré la main en souriant. J'étais éberlué. Cette manager (ou manageuse, comme vous voudrez) de haut vol pour qui je travaille depuis plus de deux années n'avait jamais mangé à la même table que moi, n'avait jamais abordé en ma présence des sujets autres que professionnels. Que faisait-elle à côté de moi, discutant de la pluie et du beau temps, ponctuant son discours de rires brefs et aigus ?
« Tu viens prendre l'ambiance, Georgette ?, a demandé Pierre.
- Ce n'est pas pour ça que je mange avec vous. J'étais en compagnie de Gérard et nous avons croisé Cédric. Nous lui avons demandé si on pouvait se mêler à vous. Je m'intéresse également à l'ambiance des autres sites, même si je ne mange pas à la cantine avec eux.
- Par exemple, Toulouse ? »
Paul est intervenu :
« Tu ne manges pas à la cantine de Toulouse ?
- En particulier Toulouse, oui. Je mange à la cantine quand je m'y rends, mais c'est rare. »
Notre manageuse a continué à participer activement à la conversation, ponctuant ses remarques du même petit rire cependant que Gérard, muet, essayait sans succès de masquer son ennui. Pierre parlait beaucoup, les hasards de la discussion l'ont amené à faire remarquer :
« Tu sais, Georgette, je suis toujours un peu râleur. »
Le ton de la réponse me fit penser à quelqu'un récitant une leçon :
« C'est normal. Il faut s'inquiéter quand quelqu'un ne râle pas.
- Quand je le fais, c'est toujours pour une bonne raison. »
Elle a alors posé la main sur l 'épaule du jeune homme :
« Je sais. »
La conversation a ensuite dérivé sur la réglementation européenne permettant (parait-il) d'appeler « chocolat » des produits ne contenant pas de cacao. Jacques a alors fait remarquer que seuls les Français et les Belges attachaient de l'importance à cette dénomination ; puis Paul nous a entretenu d'un sujet connexe :
« C'est comme lorsque la commission européenne a voulu donne l'appellation "rosé" à des mélanges de blancs et de rouges. »
Après avoir pris la défense des rosés, qui ne sont pas des grands vins mais peuvent être très bons, Georgette a tiré la leçon de la conversation :
« Entre le fromage, le rosé et le chocolat, les Français n'ont vraiment pas de chance. »
Lorsque, le repas terminé, je suis remonté dans mon bureau, j'avais la tête dans les nuages. Ma directrice opérationnelle m'avait serré la main et, sans aucune arrière pensée, elle avait mangé à la même table que moi. J'étais content.
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