jeudi 25 mars 2010

Voyage sous la ville

Sous les néons crus illuminant le wagon de métro, je contemple les passagers hagards, les publicités, les fauteuil fendus recouverts de skaï bleu râpé, le sol gris sale en plastique antidérapant. Tout est laid; immobiles, les yeux fixant le vide, mes compagnons de voyage font penser à des zombis perdus au milieu d'un champ de ruine. Un groupe d'enfants pénètre dans le wagon, étincelle d'énergie au milieu d'un océan de dépression. Aujourd'hui ils remplissent le wagon de leurs bavardages excités mais, dans quelques années, ils seront silencieux comme leurs aînés.
La dame assise face à moi porte des lunettes ovales cerclées de noir ; ses cheveux teints sont raides, son visage épais est souligné par son double menton, son manteau bleu orné de deux rangées de gros boutons laisse dépasser une jupe courte de couleur marron, ses ongles limés avec soin mettent ses mains grasses en valeur. Ses bas bleus opaques cachent ses jambes sauf au niveau des genoux où, de façon presqu'obscène, apparaît par transparence la couleur de la peau. Ses chaussures découvertes sont munies de talons hauts d'environ trois centimètres.
Mal rasé, visage rond et gras, son voisin a relevé la capuche de son haut de jogging doublé en fourrure synthétique ; au dessus de sa ceinture, seuls ses mains et son visage dépassent du vêtement, je ne peux pas voir si ses cheveux sont longs ou courts. Je baisse les yeux, aperçois son jean large et ses baskets poussiéreuses, devine ses fesses larges étalées sur le siège.
Je me pince ; je suis probablement en plein cauchemar, je vais bientôt me réveiller et oublier ces visions.

lundi 1 mars 2010

Le policier, la burqa et la femme de ménage

Les politiciens nous ont abreuvés d'envolées lyriques portant sur le foulard et la burqa. Au nom du droit des femmes, ils ont exclu de l'école des jeunes filles portant un morceau de tissu sur la tête, leur barrant ainsi tout accès à l'instruction dite publique. Aujourd'hui, ils viennent de découvrir que certains hommes obligent leur femme ou leur sœur à cacher son visage sous une burqa. Pour remédier à cette situation, ils ont courageusement décidé de s'attaquer aux victimes, et veulent leur interdire les services publics. Ne pouvant plus accéder aux transports en commun, ces dernières seront alors limitées dans leurs déplacement, ce qui aggravera leur dépendance vis à vis de leurs oppresseurs.
Tout cela, c'est que je pensais naïvement jusqu'à aujourd'hui. Heureusement, à la cantine, Pierre, Paul et Jacques ont livré ce midi leurs pertinentes analyses. Ils m'ont permis de comprendre que l'émancipation des femmes et la liberté de montrer ou cacher son visage n'ont en définitive que peu d'importance. Je retranscris leur conversation :
« Vous avez-vu que le NPA présente une fille voilée aux élections ?
- Elle est laïque ?
- Comment ça laïque ?
- Ben euh...elle pour la laïcité.
- Oui. En même temps c'est un insigne religieux, ce n'est pas normal, chez nous.
- Pourtant on a bien du des curés en soutane sur les listes. Ça n'est pas mieux.
- Oui mais c'était y'a cinquante ans.
- Voilée ? Seulement les cheveux?
- Oui
- Alors c'est pas grave. Le problème, si tu caches ton visage, c'est le contrôle d'identité. On ne peut pas aujourd'hui leur demander de l'enlever. On ne sait pas quoi faire si on veut les contrôler. Et comment on fait pour les fouiller? On ne peut pas si on n'écarte pas le voile. On doit pouvoir voir le visage. Le voile simple sur les cheveux, ce n'est pas gênant, on peut voir le visage.
- D'ailleurs le foulard n'a jamais posé de problème, vous en entendez parler vous?
- Il n'y a pas eu une loi pour l'interdire à l'école il y a deux ou trois ans? Et dans les services publics »
Un instant de silence .
« Je ne sais pas. Mais aujourd'hui, chez nous, l'interdiction de la burqa a un impact psychologique, un peu raciste. Ça pose moins de problème par exemple en Égypte .
- On se pose trop de questions. Je vais te dire, ce problème de la burqa, c'est très parisien, c'est les journalistes qui l'ont inventé. En province, il n'y a pas de problème. A l'hôpital, ils doivent la soigner, ils enlèvent la burqa, le mari laisse faire. C'est pas comme à Paris.
- L'extrême gauche ils sont normalement anti-religieux, c'est étonnant qu'ils mettent quelqu'un comme ça sur leur liste.
- Ça doit être pour montrer qu'on peut être croyant et avoir des idées de gauche comme eux.
- Le problème aujourd'hui, c'est que tu es tout le temps accusé de discrimination. Je m'explique. Tu as une femme de ménage voilée et une non voilée tu dois pouvoir embaucher celle que tu veux. Si tu choisis la non-voilée on t'accusera de discrimination, c'est ça qui est pas normal. »
Comme vous l'avez compris, le plus important est que la police puisse voir nos visages et nous fouiller et nous devons pouvoir choisir entre deux femmes de ménage sans être accusés de discrimination, même si l'une d'entre elles est voilée. Par contre, parler de racisme, c'est se poser trop de question. Quand à l'égalité homme-femme ou à la liberté d'aller et venir, ce sont des sujets qu'il ne semble pas utile de mentionner dans une grande entreprise d'un pays démocratique tel que le notre.